Parmi les signes d’élargissement de la notion de patrimoine, il y a son ouverture à des objets de plus en plus proches du temps présent. Ce phénomène fut toutefois moins bien accepté qu’on ne le pense, et les difficultés furent au moins aussi nombreuses que les succès.
Des patrimoines problématiques
Dans les années 1990, il reste parfois difficile de faire admettre des patrimoine récents. Beaucoup de Français restaient encore réticents à conserver certains types édifices. Cela pour plusieurs raisons:
1. leur âge
Le patrimoine « noble » n’a jamais eu de problème de légitimité: cathédrales, forteresses, temples antiques, beaux arts… C’est comme si l’âge d’un monument lui apportait une valeur incontestable. Les lieux et les édifices plus récents, en revanche, étaient en quelque sorte victimes de leur jeunesse et ne jouissaient pas forcément d’une grande valeur aux yeux du public. Les contre-exemples existent toutefois, ainsi les Roubaisiens, en 1990, trouvaient-ils déjà un intérêt historique important aux bains-douches-piscine datant des années 1930.
2. leur fonction
Ils ne sont pas prestigieux comme les lieux de culte ou comme les lieux de résidence des puissants. Le premier exemple marquant furent les Halles de Paris, associées à la consommation et aux classes laborieuses. C’est notamment pour cette raison qu’elles ne furent pas conservées à l’époque, en 1971.
Thématique: les Halles de Paris ►
D’autres sont associés aux loisirs populaires, comme les salles de spectacle ou de cinéma. Ainsi dans les années 1990, plusieurs cinémas datant du début du XXe siècle étaient menacés de destruction parce qu’ils n’intéressaient plus que quelques cinéphiles passionnés.
En 1998, une polémique éclate même lorsqu’a été classée monument historique une ancienne maison close de Paris. Des personnes se sont indignées de cette patrimonialisation d’un lieu de prostitution.
3. leurs matériaux
Le patrimoine « noble » était fait avec des matériaux de prestige: la pierre taillée pour les édifices, les bois et métaux précieux pour le mobilier et l’orfèvrerie, etc. Or l’architecture des XIXe et XXe siècle a innové notamment en employant des matériaux nouveaux: le métal et le verre d’abord (par exemple dans les gares ou les halles commerciales), puis le béton. Par exemple, à la fin des années 1990 à Reims, les halles du Boulingrin, faites en béton, divisaient l’opinion et embarrassaient la municipalité:
4. leur apparence
Ceci découle des trois précédents points. L’architecture des XIXe et XXe siècles s’est renouvelée aussi par ses formes. Les comparaisons avec le patrimoine « noble » sont souvent peu flatteuses, mais c’est parce que les qualités esthétiques de ces édifices sont différentes. Après des réticences, le public français a appris à apprécier l’architecture contemporaine. Par exemple, la villa Cavrois, réalisée par Mallet-Stevens, a accueilli de nombreux visiteurs lors des Journées du Patrimoine en 2000
Le cas de la gare d’Orsay: un patrimoine du XIXe siècle sauvé in extremis
La gare ferroviaire d’Orsay, à Paris, a bien failli être détruite. Elle n’accueillait plus aucun train depuis 1945, et dans les années 1960 son architecture était jugée dépassée. Au début des années 1970, alors qu’on songeait à la détruire pour la remplacer par un hôtel moderne, elle a connu un regain d’intérêt inattendu.
Le site internet du musée d’Orsay raconte ce projet avorté de détruire la gare pour la remplacer par un hôtel moderne ►
Entre temps, les Halles de Baltard avaient été détruites, et ce traumatisme a soudain éveillé l’intérêt des spécialistes d’histoire de l’art pour l’architecture du XIXe siècle. En 1973, Valéry Giscard d’Estaing décide de protéger le bâtiment et de suivre les recommandations de la Direction des musées de France d’en faire un musée d’art du XIXe siècle. Ainsi, c’est parce que les Halles ont été perdues que la gare d’Orsay a été sauvée.
Conçue par l’architecte Victor Laloux et inaugurée en 1900, la gare d’Orsay se distingue par sa charpente métallique recouverte de pierre, par ses volumes et par son décor richement orné – c’était une gare pour les voyageurs aisés. C’est la première fois qu’un bâtiment relevant de l’architecture industrielle est transformé de la sorte.
L’histoire de la gare d’Orsay ►
- Sire Marie-Anne, La France du patrimoine : les choix de la mémoire, Paris, Gallimard Monum, Éditions du patrimoine, 2005.
- Foucart Bruno, « Postface », in Bercé Françoise, Des monuments historiques au patrimoine : du XVIIIe siècle à nos jours, ou « les égarements du cœur et de l’esprit », Paris, Flammarion, 2000, p. 203‑209.




